cahier critique 2
Préambules.
L’admirateur des œuvres de Djimé Diakité trouvera ici les notes des intentions artistiques pour chaque tableau. En 2OO2, c’était en revisitant les principes de l’esthétique négro-africaine que ce brillant ingénieur de haut niveau s’était résolu à lancer le manifeste « farafina-korofo/made in Africa », signifiant l’observatoire de l’art africain dans le monde. Chaque création de l’artiste représente une œuvre caractéristique de ce mouvement. Il a consigné les points d’observations des diverses compositions dans des fiches qu’il donne ainsi à la critique d’art, aux investigations des historiens d’art, afin d’agrémenter le recueillement des contemplateurs passionnés. La meilleure leçon à tirer de son expérience réside certainement dans son rapport à l’art, dans la mesure où pour lui, l’art est une aubaine qu’il a su mettre à contribution tant à manifester le dynamisme des puissances vitales, qu’à cultiver son mieux-être dans la vie réelle. Autrement dit, il s’est servi de l’art comme un medium pour revisiter son identité africaine, tout comme un outil pratique d’une échappatoire aux rudes conjonctures du sous-développement de son pays.
A défaut d’une analyse précise de la critique adaptée à l’art africain, les notes ci-après serviront à mieux comprendre les enjeux mis en œuvre. Ne pas connaître les discordances de cet art avec l’art occidental est la cause des équivoques et amalgames aux conséquences désastreuses, comme sa déviation qui est devenue le ‘’cubisme’’. Par conséquent, au moment d’aborder la contemplation esthétique africaine, on y gagne beaucoup à faire sienne la précaution d’Elsy Leuzinger : « Pour bien pénétrer son originalité essentielle, il y faut la disposition spirituelle voulue et une totale absence de préjugés ». Aussi, il faut signaler un écueil qui se trouve dans la philosophie de Baumgarten en matière d’esthétique : le mot esthétique est ambigu, car on y distingue deux facteurs dissemblables et inconciliables. Ce terme tiré du grec ‘’aisthésis’’ indique confusément sensation et sentiment, qui sont pourtant deux prémisses dualistes inconciliables. En effet, il contient deux cheminements de la pensée, voire deux approches créatives qu’il faut distinguer avec discernement pour ne pas s’égarer dans l’impasse, comme la thèse erronée de Léopold Sédar Senghor : « L’émotion est nègre comme la raison est hellène ». L’esthétique africaine, par sa démarche sensationnelle et efficace, se différencie de celle occidentale à vocation sentimentale et représentative. Tandis que la première se manifeste par ses modalités dynamiques et baroques, la seconde se caractérise par ses sous-entendus individualistes, nombrilistes.
L’esthétique négro-africaine souffre de beaucoup de controverses perpétrées par les divers analystes qui l’ont revisitée sans arriver à accéder à sa véritable réalité. Une première contrevérité à dénoncer prétend que la religion est la génitrice de tout l’art africain. Les spiritualités et les croyances mystiques africaines ne sont pas tout à fait des religions, car elles sont dénuées de doctrine religieuse. Par ailleurs, un aphorisme bambara indique : « dô naa dô dôn dô t’o dôn », pour signaler le caractère parcellaire et dispersé de cet art sur tout le continent. Que cela ne nous égare pas jusqu’à prétendre qu’il n’y a pas un seul, mais plusieurs arts africains. La force vitale bipolaire est l’agent actif de la créativité africaine, puisqu’elle est considérée comme une force occulte prodigieuse inspirée çà et là par la nature et la vie, et est susceptible d’être mise à contribution comme possibilité de promouvoir les perspectives de l’existence. Ce qui transparaît dans un autre aphorisme bambara : « N’i ko i be yiri dôn n’i m’a ladôn dôn, alisa i m’a yiri dôn » (Si tu prétends connaître un arbre sans savoir son guy-laurentus, alors tu ne possèdes pas toute sa connaissance). Tel est le fil conducteur de la thèse d’un seul art africain et d’un art africain éternel, toujours relatif à l’époque historique en cours. Si l’expressionnisme ou le fauvisme, le cubisme, le surréalisme se sont inspirés de l’art nègre, c’est parce qu’il est moderne et contemporain déjà dans sa nature essentielle.
La façon iconique africaine est caractéristique d’un art dense et synthétique qui n’applique pas le principe albertien de composition « l’œil ou la fenêtre ouverte sur le monde ». Elle procède de « la loi d’abstraction des contours de la forme, et de synthèse de l’idée incarnée » ; autrement dit, elle est l’œuvre d’une manipulation de l’image alors assimilée à une interface miraculeuse, source des puissances vitales. Il s’agit d’une approche d’imagerie emphatique faisant la liaison de l’image (ou symbole) et l’idée (ou concept), apparentée à la stéréométrie, l’idéogramme, la pictographie, l’hiéroglyphe. Les philosophes Amo du Ghana et Mveng du Cameroun ont analysé cette problématique, chacun séparément dans le livre « les philosophes africains par les textes ». Ces orientations sont autant de sources pour édifier toute âme, afin qu’elle ne soit pas tentée, comme c’est souvent le cas, par une lecture viciée essayant en vain d’assujettir les œuvres de l’art africain aux lois de l’art occidental.
Commentaires critiques des œuvres.
Il y a des thématiques comme la danse ''dôn'', dont la complexité indique la notion de « fait social total » (Marcel Mauss, 1950). Dans l'art bamanan du ''kônôya'' (conception artistique du chant imitant les mélodies d'oiseaux), la performance de chanter se nomme ''dônkili'' (l'appel à la danse) ; ce qui a pour principe d'exprimer le sens profond de l'image verbale, du rythme, de la musique des mots. L'intitulé ''dônfôli'', signifiant l'incitation à la danse, annonce le morceau choisi comme prétexte pour manifester les fonctions artistiques « fôli, tolon-kè » qui sont réputées pour l'exaltation des valeurs profondes de la culture, et pour l'animation sociale. Certes, à cause de l'ambigüité du sujet, sa mise en �uvre est difficile, en revanche son caractère totalitaire donne à l'artiste la latitude vaste de joindre l'utile à l'agréable : d'établir des correspondances entre les diverses dimensions ou significations de l'�uvre. Dans cette dynamique, la forme et le contenu entrent en accord harmonieux, se manifestant par le mouvement d'ensemble et participatif, qui fut revisité en 1960 par George Maciunas en tant qu' « état de fluxus » à travers lequel la danse, le chant et la musique s'affirment comme des réjouissances permettant d'étancher, par la magie du rythme, la soif de plénitude vitale. A cet effet, des cycles de fêtes, danses, chants, festins et beuveries marquant une liesse populaire, sont souvent organisés dans les sociétés africaines lorsqu'il est nécessaire de réduire des tensions, de lutter contre l'angoisse. A ces occasions l'ambiance devient remplie de sonorités polyrythmiques émaillées de la polyphonie des chants, tandis que l'animation figure la réitération des personnages en proies à la transe dionysiaque ou à l'extase orphique. Pourtant, dans la plasticité africaine, la forme réside dans la relation des lignes, le rapport des surfaces, la proportion des masses. Et c'est à partir de là que le rythme s'affirme comme l'un des domaines dans lesquels l'expressivité esthétique des africains se manifeste plus intensément, nourrie par un imaginaire qui se donne libre cours. L'archétype servant de miroir réfléchissant, ou d'interface rejaillissant de la composition, est la figure de la danseuse au grand boubou bleu, soit la cantatrice ; parce qu'elle met en exergue la poétique bamanan du ''kônôya'', tandis que le langage sulfureux de son ''saabar'' intègre deux rythmes graphiques distincts correspondant à des rimes qui se répercutent sur l'un et l'autre batteur ''jembe-fôla''. Un percussionniste suit du regard ''kônô-muso'' (la chanteuse) tandis que l'autre incarne la spontanéité, l'originalité d'un moi personnel et romantique. Au titre d'une prérogative du génie créatif africain, la mise en scène opposant par juxtaposition diverses façons du ''fôlila'' (l'expression ou le langage artistique), réaffirme la prédilection de narguer les théorèmes des lois esthétiques afin de donner libre cours à la passion de l'abstraction lyrique, au goût du style sensationnel ou baroque prenant le pas sur l'efficacité réaliste. A travers la fonction d'animation « nyènajè, tolon-kè », le jeu et l'amusement sont les manifestations du goût au divertissement suivant le principe : de rendre l'ensemble proche du modèle sans lui être fidèle. Autrement dit, le style est l'alternative de la flexibilité dans l'observance d'un canon rigide ; c'est le domaine qui imprime la marque identitaire ou la tradition dans la forme. Mais cette faculté demeure sous l'aspect d'une épreuve de performance s'opérant règlementairement dans les limites étroites d'une tradition stylistique. La facilité d'accès à l'écriture graphique provient de l'efficacité dans les termes de la lisibilité et la visibilité. C'est ainsi que les vides laissés entre les icônes sont aussi importants que les pleins et les déliés. Ce langage graphique est renforcé par l'illusion de la perspective linéaire adoptée afin de décaler chaque personnage dans la profondeur spatiale suivant une hiérarchisation successive des tailles (hauteurs, grandeurs) par rapport aux distances qui les séparent.
Dundun : stylo à bille et crayon pastel/ papier ; 32x24 cm ; 17-03-01.
Cette icône a été l'ébauche du tableau peint « barafô », qui veut dire en bambara « joueur de sphère » ; soit une poétique de l'art africain en tant qu'expressivité du langage artistique. En Afrique, la musique et la danse ont valeur de langage, puisqu'elles traduisent parfaitement le dynamisme de la nature. Tout comme le verbe de la parole, les formes du langage artistique condensent de façon systématique des sens, des enseignements et des signes sociaux. A cet effet, la figuration devient une synthèse strictement évocatrice de la performance annoncée dans le sujet. Chaque pied, recouvert d'un morceau de cuir à l'épreuve des écorchures, s'agrippe tel qu'une main à la boule pour la tenir juste devant les frappes. Les gesticulations du batteur expriment la saccade de la rythmique et la puissance des sonorités. Sa tête au bonnet, en se dandinant, imprime le tempo scandé ; la force des vibrations est perceptible à travers les traits crispés du visage et le rictus de la bouche. Jadis, les Africains découvrirent la danse et le chant en même temps que le langage. Dans ce sens, toute la mise en scène est le prétexte à des insinuations plus profondes. L'intitulé ''dundun'' indique une sorte de tam-tam basique en forme de calebasse ouvert en haut, puis rétamée de cuir de bouc. A cause de sa signification cosmique et du pouvoir évocateur de ses sonorités, cette calebasse est le roi des instruments de musique. Elle symbolise la voix des ancêtres et des esprits de la brousse. La verve passionnée du joueur en dit long sur les danses solaires dont elle est le véhicule. Aussi, sa rythmique baroque est l'intermédiaire à travers lequel l'instrument de musique et le corps du joueur se mélangent et se fondent.
Bolo-di nyôkôn-ma : huile sur toile, 92X73cm, 10 mars 2014.
Met en scène une allégorie de l'arbre à palabre, d'après une concertation de la société des masques. Ce conseil des sages a intimé aux belligérants d'une inimitié, l'ordre de se donner la main comme signe d'un gage de la paix, de la réconciliation, de l'amitié et de la cohésion sociale ; d'où la signification de l'intitulé en bambara. Tel est le prétexte à la mise en exergue de l'art des masques représentant les âmes, les génies et les esprits protecteurs des diverses sensibilités africaines, et aussi l'occasion de donner libre cours à une abstraction baroque figurant des entrelacs autour de la gestuelle de la salutation. La composition est celle du cercle du gbara (en bambara, place publique, parfois appelée fèrè), au milieu duquel se dresse l'arbre sacré. Son design est mis à contribution pour présenter la formule de la communication africaine « siki ka fô » (en bambara, une assise) qui signifie le règlement des conflits selon les voies de la sagesse et de la démocratie africaine. L'effet de cette perspective est obtenu par la combinaison de la ronde formée par les personnages et aussi par la variation circulaire de leurs postures assises. D'ailleurs, cette illusion est accentuée par son contraste avec l'alignement horizontal des cases servant à barrer l'horizon et circonscrire la scène, tout en donnant l'idée d'une communauté villageoise. Le huit-clos du conclave des esprits masqués culmine par la gestuelle symbolique de l'apaisement du différend, tandis que les amis désormais réconciliés sont assimilés à une métaphore de l'arbre sacré comportant une fourche à deux branches en formes de mains ouvertes, et dont les feuillages sont une abstraction saisissante en terme d'une effusion de mains qui se donnent la main.
Farafina critique-1 : l’histoire de l’art occidental est bâtie sur un tissu de mensonges. Cheick Anta Diop, dans le livre « Civilisation ou barbarie » signale l’origine du nombre d’or dans l’Egypte pharaonique, tandis que les européens prétendent l’attribuer à l’italien Vitruve. Donc, à vrai dire la loi classique européenne de la beauté en tant qu’indice d’harmonie, d’équilibre et de perfection dans les structures construites, y compris la section d’or comme clef de la composition plastique, prend sa source en Afrique. D’ailleurs, beaucoup d’autres plagiats demeurent escamotés. En passant outre l’usurpation et l’accaparement des cubistes dans le patrimoine ancestral africain, signalons que la référence fondamentale du surréalisme : «Beau, comme la rencontre fortuite d’une paire de gants, d’un parapluie, d’une machine à coudre sur une table de dissection » de Isidore Ducasse, alias Lautréamont (dans ‘’les chants de maldoror’’), n’est qu’une parodie pure et simple des ingrédients de ce qu’eux-mêmes avaient désigné le fétiche africain. Bref, pour ne citer que ceux-là, on relève une multitude de supercheries de ces genres, couvrant tout le XXe siècle ; à tel point que tout l’art contemporain mondial constitue une vraie fumisterie, qu’il faut désormais cesser d’entériner aujourd’hui dans les media, dans les écoles, dans les musées.
Turu naani : fixé sous-verre, 40x30cm, 17-06-2012.
Les cheveux crépus des Africains sont à l'origine d'un art de la tresse qui met en �uvre une esthétique magnifique et féconde. La tête fait l'objet d'un culte de la parure et de la beauté, parce qu'elle est la partie essentielle du corps, où se concentre la force vitale dont tout être vivant est le support. En tant que motif artistique, le sujet peut être un prétexte pour exalter facultativement l'esthétique de la coiffure, le savoir-vivre de la convivialité relative à la circonstance, voire l'érotisme sournois qui est symptomatique de la séance. La thématique des tresseuses est ici le prétexte mis en apparence pour donner libre cours à l'interprétation d'une poétique sensuelle comme celle des titres musicaux « sex intention » ou bien « sexual healing ». Le rapport de cet état d'esprit avec la réalité se révèle à travers les attouchements dus aux gestes de tresser, et du corps à corps obligé à cause de l'accolade des protagonistes. Ce genre stylistique est l'occasion de mettre en �uvre une composition de lignes brisées formées par la juxtaposition des masses, avec la liberté de pouvoir insister sur certaines parties de l'anatomie, des vêtements, ou bien sur le caractère cocasse des conciliabules tenus entre les filles. L'intitulé en bamanan indique les quatre tranches d'attaches du modèle de tressage, mais ce chiffre proclame une numérologie évocatrice de la féminité. La figuration, dense et synthétique, respecte l'aplomb correct des postures ; ce qui met en exergue l'exubérance mammaire, en tant qu'excroissance épanouie et significative du corps. Et puis, l'allusion et les rapports de correspondances des maïs, des baobabs constituent les signes d'un langage symbolique marquant la rupture avec le naturalisme anecdotique de la description du panorama. Ce tableau interprète le principe de l'art africain « messager de l'être », d'après sa conception de l'art vivant en tant que moyen d'être. En effet, ces formulent annoncent une esthétique qui a pour principe l'usage de l'art comme médium pour réaliser la participation des sensibilités populaires à des cérémonials traduisant les idéaux culturels de l'ordre social.
Farafina critique-2 : Une thèse fondamentale de l’esthétique négro-africaine dénommée ‘’esthétique des esprits’’ est chantée par les donso du Mali, telle que : « La puissance des esprits n’est pas de la même sorte que l’univers des goûts humains.» (jina ko ni môkô ko tè kelen ye). Autrement dit, Pas de sentiments ni d’émotions dans l’intention artistique africaine. D’ailleurs, la philosophie de Baumgarten définissant l’esthétique présente deux prémisses « sensation, sentiment », pourtant dualistes et inconciliables ; ce qui nous indique qu’il y a deux substrats distincts dans la perception, l’expression ou l’analyse du Beau : l’un significatif, efficace, relatif à l’art africain ; l’autre représentatif, discursif, propre à l’art occidental. En 1990, l’écrivain nigérian Ola Balogun s’est targué de ce fait : « Que la beauté artistique n’est pas le miroir servile de la nature, le monde l’aura appris de l’art nègre ». 9-11-2014.
San-kôrôta : fixé sous-verre, 40x30cm, 27-05-2012.
Le loisir de prédilection des jeunes filles nubiles « tèkèrô tolon » (en bamanan, amusement par les battements des mains) est une illustration enthousiaste de l'usage africain de l'art comme moyen d'être. Cette réjouissance folklorique est représentative du dynamisme de la modalité sensationnelle et participative qui caractérise chaque forme de la manifestation de l'esthétique et l'art partout en Afrique. Ce jeu est une application de l'art polyphonique du battement des mains et des pieds, accompagnée de chants et danses acrobatiques. Tour à tour, une participante s'élance en courant pour venir se jeter dans les mains porteuses des autres qui la propulsent en l'air pour exécuter le saut chorégraphique « jaso » faisant l'objet du tableau. Pourtant cette figure de style demeure inexploitée dans l'interprétation artistique, parce que la composition de sa représentation exige beaucoup de subtilité et de maestria. L'alternative employée ici est la réduction de toute la performance à son aboutissement culminant ; d'où l'origine de l'intitulé « san- kôrôta » (en bamanan, ascension) qui indique le sursaut ou l'impulsion que les ressources de l'art et la créativité procurent à l'Être. Cette option se prolonge par le dépouillement et la stylisation qui sont les rhétoriques mises à profit pour atteindre l'expressivité à la fois hiératique et décorative. Au-delà des gestuelles rythmées, cadencées du mouvement d'ensemble, c'est l'allégresse époustouflante de l'idéal de « vivre d'art et de beauté » qui est réaffirmé à travers les coloris vifs et joyeux du style de rayure des pagnes « kôba » dont chaque personnage est vêtu. Et puis, cet exergue est un prétexte de rendre l'hommage vibrant à l'art textile jamais assez exhaussé des tisserands africains. La frontalité de la représentation permet de traduire clairement le caractère graphique de la propulsion en l'air par les participantes porteuses, demeurant un simple alignement horizontal de figures stroboscopiques verticales aux bras levés. A partir de là, la représentation rejoint l'iconographie du motif conceptuel de la statuaire ''tellem'' ; ce qui impose l'exclusion de la narration anecdotique, tout en instaurant l'effet de groupe des porteuses, et la lisibilité sans équivoque de l'écriture graphique du mouvement d'ensemble. La composition s'équilibre de part et d'autre du milieu médian, suivant un rapport de symétrie ou d'équivalence. La mise en scène est une juxtaposition de différentes figurations de personnages réjouis bras en l'air, stylisés dans un design strict et dépouillé, fait d'un enchaînement de formes géométriques succinctes ou précises. Dans la vie africaine, les distractions à titre de fêtes, jeux, chants, danses sont souvent organisés lorsqu'il est nécessaire de réduire des tensions, de lutter contre l'angoisse. Et partout en Afrique, les loisirs sont empreints de réjouissances et d'amusements ayant le caractère d'une poésie vécue. L'hédonisme ''diya'' est une référence du folklore bamanan qui argumente les plaisirs dans l'existence ; sa formule révèle la pensée suivant laquelle les conceptions heuristiques sont diffuses et intégrées comme une culture du bonheur dans les diverses circonstances de la vie courante.
Farafina critique-3 : La notion du Beau, tel qu’il est la joliesse dans l’art occidental, associant la perfection, l’équilibre et l’harmonie, existe bel et bien chez maints peuples africains (‘’cènyia, kènyi’’ pour les Bambaras et Malinkés) qui outrepassent cette catégorie réputée vague, stérile, inefficace pour cultiver ‘’dan-nbe’’, signifiant vertu, valeur, idéal, et ayant l’avantage d’être fécond, dynamique, participatif. Dans cette référence au Créateur absolu qui a créé les choses du monde en leur attribuant une âme et un destin, l’intention artistique aussi est constamment gouverné par la poétique du « beau-fécond », faisant de la force vitale l’agent actif de la créativité africaine ; comme déclare l’axiome malinké : « fèn bèe ye doko la nyama le kôrô, nyama tè doko la fèn kôrô »(Toute chose abrite une force vitale, mais la vitalité de chaque chose est significative). L’apothéose de cette esthétique vitaliste est l’annonce de la performance artistique (que l’artiste allemand Joseph Beuys tenta en vain d’illustrer) dans une autre célèbre formule malinké : « tolon tè sèbè sa la ; môkô mun bè i dan tolon kè rô, o bè i dan sèbè rô »(En matière de beauté, l’utile ne nuit pas à l’agréable ; car celui qui sait vaincre dans le jeu, pourra triompher aussi dans la vie). Et puisqu’il est essentiel à l’art la mise en marche de l’être vers la plénitude (tel que recherchait en vain aussi Friedrich Nietzsche), une résolution positive de la beauté se trouve dans la démarche de l’art africain « messager ou serviteur de l’être » comme un art vivant qui reconstruit la personne en permanence et fait de la vie une œuvre d’art. A cet effet, « l’art de mettre de l’art dans la vie » (selon Michel Leiris) illustre une performance de l’idéal esthétique de vivre d’art et de beautés. Partout en Afrique, les diverses mythologies présentent l’art comme un moyen, soit une échappatoire ou une force de la vie. Ainsi, la conception bambara « seko ni kodôn ani dônko » traduit l’art en tant que ‘’pouvoir être’’ à l’instar du pouvoir absolu. 17-12-2014.
Yankadi : peinture à l'huile fixée sous-verre, 40X30cm, date 3-10-2013.
Chasser la déprime, cultiver la joie de vivre, sont des formules qui annoncent la thèse de l'heuristique bamanan ''yan ka di''.Ici, ce principe est mis en �uvre en tant qu'un genre artistique manifestant la sensation de bien-être et d'optimisme. Lorsqu'il est nécessaire de redonner du sens à la vie, de réduire des tensions, de lutter contre l'angoisse, le village africain a coutume d'organiser la fête, la danse, le chant et le festin. La danse constitue un fait social total, un facteur culturel à travers lequel les Africains réalisent leur destin ; à ce titre, sa performance recèle des simulations et des insinuations qui sont traduites par des gestes significatifs. Par la juxtaposition de diverses figures de danses en solo, la frise qui est mise en scène intègre à la fois un hymne à l'avantage d'être et une poésie de l'allégresse. Dans le panache de l'animation, chaque compartiment de la figuration est une parade des formes de corps voluptueux s'agitant sous l'emprise du rythme. A travers cette allégorie de la danse, les jambes n'entrent vraiment en jeu que pour scander la frénésie des convulsions rendant parfois visibles les nudités des corps. En marquant la mesure du rythme, les bras s'immobilisent instantanément en dessinant des lignes géométriques qui accusent le caractère sculptural de la danse. Aussi, les gestuelles et les pas sont commandés par les sonnailles qui constituent les parures que portent le cou, la hanche, les oreilles, les bras, les pieds. La danse hystérique ''jalidôn'' des griottes s'articule autour de l'évocation des cornes de bovidés dont la forme incurvée symbolise Rê le soleil ; soit le grand flot mythique à la source duquel les mortels se revitaliseraient. Le groupe social ''wolosso'' manifeste son identité culturelle à travers une danse érotique qui frise l'obscénité par ses mimiques lascives axées sur les jeux de reins, le trémoussement des fesses, la secousse des seins. La mouvance sinueuse en lacets du saabar évoque un serpent mythique, avatar du premier ancêtre. La gestuelle ''tèkèrè-tolon'' inscrit une abstraction formelle, à cause de sa simulation du familier battement des mains applaudissant le prélude d'un élan impétueux.
Farafina critique-4 : La différence entre un artiste africain tout court et un ‘’Africain’’ artiste contemporain réside dans le fait que le second se retrouve dans une phase avancée de l’assimilation, et tente désormais de renier ouvertement les irréductibles traits d’africanité lui collant à la peau. La Négritude était déjà une parodie des recettes traditionnelles de l’art littéraire africain par des Blacks assimilés au mode de vie occidental, et donc en prise avec le complexe d’infériorité. Les Africains qui persistent dans les fléaux sociaux de l’assimilation et le mimétisme sont des retardataires ignorant « Peau noire, masques blancs » de Frantz Fanon, ou bien n’ayant pas compris le même genre satirique et militant dans l’album du gentleman à l'accoutrement simiesque de Fela Anikulapo Kuti et dans le refrain « Emancipate yourself from mental slavery » du tube ‘’Redemption song’’ de Bob Marley. En tant que forme de la conscience sociale, ce n’est pas la couleur de peau qui prévaut en matière d’art, mais celle identitaire de l’âme. La voie du salut pour n’importe quel artiste contemporain africain se trouve dans la réappropriation des codes de l’art africain éternel, qui sert avant tout à traduire les valeurs profondes de l’âme noire. Quoiqu’il en soit, l’universalité de cette approche de l’art est irrévocable puisque ses formes d’expression sont interprétées avec succès dans le monde entier. 30-12-2014.
La mystique fila : fixé sous-verre, 40x30cm, date 2-04-2013.
La notion bamanan ''fôli'' est le générique de l'expression artistique des valeurs profondes de l'humanité africaine. En tant qu'une des trois formes connues de l'art africain, cette pratique est devenue systématique suivant des démarches de performances variées telles que ''lafasali'', signifiant l'éloge des racines identitaires. Le souci primordial qui constitue le fond ici, est l'expérimentation de ce langage expressif ; tandis que la thématique rendant l'hommage à l'âme peuhle n'est qu'un prétexte pris pour la forme. Au-delà de leur exotisme, les thèmes de l'Afrique éternelle demeurent populaires, indémodables, parce qu'ils traduisent les paradigmes sociaux relatifs à l'africanité. Le vaste éventail pittoresque qu'ils offrent constitue une source d'inspiration intarissable à travers laquelle les sujets classiques peuvent être valablement réédités suivant les nouveaux styles sans pour autant perdre leurs contenus essentiels. Déjà, l'envergure poétique de la mystique fulani est remarquable dans les récits épiques de la vie pastorale, et dans les aventures du nomadisme transhumant. L'existence du berger est le fil conducteur d'une réflexion à propos de l'émancipation de l'être humain à l'égard de la société. A ce titre, l'icône affichée est emblématique de l'autonomie qu'il faut cultiver à la façon d'être, puisqu'elle symbolise un genre de vie nomade incluant le colportage d'un attirail significatif composé de la canne, la natte, la couverture, le chapeau pointu, l'écuelle pour traire, la gourde d'eau, la besace contenant le couscous sec, la petite harpe-luth pour l'accompagnement musical des déclamations poétiques qui servent à briser la monotonie des moments de détente. Aussi, la silhouette caractéristique du pasteur peuhl se reconnaît par l'allure familière de sa posture équilibriste figée telle qu'un pantin juché sur un seul pied. Cette fixité apparente de la figure est mise en opposition avec l'écriture baroque de l'image ; et l'effet dynamique du graphisme provient surtout de la composition associant les traits ondulés d'un entrelacs de cornes de bovidés, avec les oscillations émanant des lignes brisées du bonhomme, qui est réductible par abstraction à deux axes perpendiculaires. Bien que la figuration mette l'accent sur la solitude ; au contraire, la harpe et la compagnie des animaux indiquent qu'elle ne signifie pas une nostalgie ni un apitoiement mélancolique. Dans la langue bamanan-kan, le Peuhl se nomme ''fila'', ce qui veut dire deux. D'où le signalement d'un paradoxe latent sur son identité : non seulement il s'assimile à l'ombre de son troupeau, mais aussi la dualité s'avère le caractère habituel des facteurs marquant son existence. L'esprit peuhl fait l'objet de nombreux préjugés sociaux qui stigmatisent publiquement la crainte et la méfiance à son égard. Un aphorisme bamanan révèle qu'un Peuhl est un menteur aussi droit qu'une faucille est tordue, soi-disant qu'il ne rend jamais la pareille ; à celui qui lui ouvre son c�ur, il prête le flanc : « fila janfa-ci, a telen ne ye wôlôsô ye ; a tè dôn k'a ban ; n'i y'i kônô ci k'a yira a la, ale b'a woro ci ka yira i la ». A cet égard la présentation du personnage de dos est une option assumée afin de rendre son âme insaisissable ou inaccessible. Cette attitude hermétique est mise au compte d'une affirmation insistante de l'incertitude sur l'origine et l'identité exactes des Peuhls dans la mystique dont ils font l'objet.
Dakan : dessin,tech.mixte, 40x30 cm, 25-OI-2014.
De prime abord, ce tableau est une insinuation triomphaliste de son auteur qui veut par là, faire l'étalage du savoir-faire de son art, qu'il exprime au moyen du langage significatif de l'art africain. Mais encore, l'�uvre est une métaphore faisant l'apologie des ressources indispensables à la performance des gestes d'éclats, comme une exhortation des Africains aux vertus de la vaillance, à la réussite dans les aspirations et les idéaux. Pour lui, « fôlila » est en bambara le langage artistique, contrairement à ce qu'Amadou & Mariam indiquent comme le chanteur dans l'intitulé de leur dernier album. Aussi, l'expressivité ''fôli'', qui est une des trois fonctions essentielles de l'art africain, lui offre l'occasion de présenter sa façon contemporaine de revisiter les symboles ésotériques des sociétés africaines, à la différence d'Abdoulaye Konaté qui pour cela, emprunte les recettes inefficaces du courant d'art français Support-Surface (réf. expo du CCF-Bamako en décembre 2013). Expressément, la figuration mise en scène est emblématique de « farafina jansa », l'hommage rendu au génie créatif africain, symbolisé ici par l'esprit kanaga (autrement dit karanga, au Nigéria). Ce qui démontre, tel qu'il est habituel dans la tradition africaine de l'art figuratif, que plusieurs niveaux de lectures s'offrent à la vue. Donc, en plus de ceux déjà évoqués, le titre ''dakan'', en bambara le destin, met précisément l'accent sur le jargon folklorique usité pour la thématique en question.
Le genre stylistique de cette figuration provient du constat dans la statuaire africaine, de s'inspirer de la réalité concrète pour saisir les formes et les éléments servant à incarner un univers mythique ou spirituel demeurant inaccessible à travers les autres formes de communication. A cet effet, l'apparence réaliste des figures est trompeuse, car chaque personnage est une invention irréelle. Dans ce système d'hiéroglyphes dont elle s'apparente, aucune icône n'est inscrite à l'ensemble sans apporter la signification précise à tenir dans le langage exprimé. Le lien ciel terre, qui est le sujet relatif à cet univers, s'instaure par l'allusion des associations d'idées qui surgissent ; ou bien, à travers l'établissement des rapports de correspondances entre des figures célestes et celles terrestres. Il s'agit d'une mystique ouvrant une vision large que la figuration met à profit pour signifier encore des abstractions inédites ; à savoir, la mise en exergue de différentes sortes de motifs iconographiques du couple, parmi lesquels « bolokôrôta » indique l'acte de consécration triomphale du danseur masqué. Il faut signaler que le sacre, l'intronisation, l'investiture est un prétexte au rituel des bras levés, familier dans les cérémonials folkloriques africains. Une telle parade triomphaliste est ici présentée sous la forme d'un syncrétisme entre l'effigie kanaga et la gestuelle tellem. Il y a aussi le musicien et son ''npôlôn'' à titre d'accompagnement musical marquant la gravité d'une solennité ''jandyo, ntanan, nyangaran'' conforme à la circonstance ; et puis, le hibou perché au baobab symbolisant le pouvoir occulte ; la croix du kanaga représentant l'exaltation commémorative de l'art ou la créativité en tant que force de vie.
Au fond ce tableau applique au pied de la lettre, le principe de l'art africain en tant que manipulation de la force vitale des choses. En l'occurrence, c'est le manège de la photocopieuse qui est mis à contribution pour graver au format requis une préalable esquisse d'un modèle-patron en vue de réaliser une technique de peinture en fixé sous-verre. A travers ce vitalisme de la démarche plastique, le dessin devient la gravure comme celle d'une typographie par procuration. Le grattage avec la lame de rasoir permet de rendre le dépouillement et la stylisation des formes ; et l'emploi parcimonieux des coloris vient en appoint au contraste des clairs-obscurs, afin d'accentuer la lisibilité de l'image.
Le stratagème de l'enchaînement des formes est relatif à la composition, axée sur la frontalité caractéristique de la plastique africaine, suivant un audacieux alignement horizontal des icônes clairement identifiables. Elle est d'abord un simple bas-relief de quatre figures au premier- plan. Le baobab, au second-plan, est mis pour équilibrer et servir de relais. La stéréométrie est l'application qui régit l'installation des dispositifs (codes, balises, relais, caractères) impliqués dans cette signification ; d'où l'écriture numismatique et la dynamique d'un rythme s'inscrivant à tout l'ensemble. A l'arrière-plan, une jolie frise faite de personnages debout, est la solution trouvée pour circonscrire la dynamique participative de la performance en scène.
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